Né de l'association entre Lise Verlaet (LERASS-Céric) et la MSH-Sud, NumeRev est un projet de portail interdisciplinaire de ressources scientifiques numériques qui se donne notamment pour mission d'être un incubateur scientifique et un vecteur privilégié de science ouverte (open science ou open research).
La concomitance des Humanités Numériques et du Libre Accès a globalement bouleversé le secteur de l’édition scientifique. En France, cela a favorisé l’émergence de plateformes telles que HAL, OpenEdition, Cairn.info, d’infrastructures comme Huma-Num, lesquelles forment des dispositifs informationnels incontournables pour les chercheurs en Sciences Humaines et Sociales.
Dans les faits, cela s’est également traduit par l’essor d’une offre polymorphe, tant du point de vue des porteurs de projets (secteur public, privé ou coopération), que de celui des politiques éditoriales (portail de ressources, archives ouvertes, préprint, etc.), que de celui des politiques de diffusion (accès gratuit, subventionné, commercial ou hybride).
Le projet NumeRev entend s'inscrire dans cette dynamique, tout en proposant un cadre afin de la discuter, de la compléter là où des apories sont constatées, et de l’approfondir là où les outils actuels du numérique offrent de nouveaux horizons.
Force est en effet de constater que, malgré ses incontestables réussites, le paysage numérique actuel des systèmes d’information liés à la recherche est encore loin d’exploiter, dans toute leur profondeur, les nouvelles potentialités du numérique; à tout le moins les initiatives en la matière apparaissent souvent dispersées et relativement désarticulées d’avec les pratiques contemporaines de la recherche (recherche sur projets, interdisciplinaire, ouverte sur les mondes sociaux…).
Ces systèmes tendent à privilégier les publications instituées et concourent à asseoir leur institutionnalisation. Hormis quelques initiatives locales et territoriales à l’instar Revel@Nice, peu de dispositifs jouent le rôle d’incubateur scientifique.
C’est l’un des objectifs de NumeRev : conseiller et accompagner stratégiquement et techniquement les porteurs de projets de publications dans les phases de création et développement, ce notamment, à terme, afin d’accroître leur visibilité via des outils numériques adaptés conçus en fonction de critères scientifiquement pertinents.
L’identification des processus d’affaires des parties prenantes sera déterminante ainsi que leur traduction au sein du cahier des charges conformément à l’informatique sociale (social informatics) (Kling & al., 2005) afin qu’il soit le mieux adapté à leurs besoins et attentes. L’expérimentation de nouveaux modèles sera également conduite avec les porteurs qui souhaitent les mettre en œuvre (par exemple l’évaluation ouverte par les pairs ou open peer reviewing).
Jusqu’à présent, les systèmes d’information ont concentré leurs efforts sur la diffusion de la recherche et l’accès aux différentes ressources (moteur de recherche, catalogage…). S’il est indéniable que cela a facilité l’accès à des corpus structurés et la recherche d’information grâce aux moteurs de recherche intégrés (ou non), la publication des ressources ne reste pour sa part qu’une version interactive du papier et n’exploite qu’une infime partie des possibilités du numérique.
L’éditorialisation sémantique (semantic publishing) (Verlaet & Dillaerts, 2016) que nous mettrons en oeuvre via le modèle de balisage par l’Approche Sémio-Contextuelle des Corpus (ASCC) (Verlaet, 2008) permet l’enrichissement sémantique des publications scientifiques.
Ce modèle sera amené à s’ajuster en fonction des différenciations disciplinaires (enjeu important du projet). La redocumentarisation (Salaün, 2007) opérée révèle l’univers conceptuel du corpus via le balisage de fragments d’articles, lesquels sont recomposés pour former de nouveaux documents avec un sens inédit. Cette nouvelle source d’information issue de l’intelligence collective offre un cadre de réflexion particulièrement intéressant pour les lecteurs car propice à l’analyse comparative (ex. d’application du modèle : http://www.revue-cossi.info). L’éditorialisation sémantique sous-tendue par l’ASCC permet de co-construire des ontologies nécessairement évolutives, lesquelles sont visualisables grâce à la cartographie des connaissances.
Cette nouvelle scénarisation des informations assure aux utilisateurs une compréhension qualitative d’un grand volume d’information, facilite la gestion des connaissances, et leur permet de manipuler et filtrer des données interconnectées et typifiées tout en construisant de nouveaux schèmes, de nouvelles significations et potentiellement de nouvelles découvertes.
Toujours pour favoriser le débat, le projet NumeRev s’attachera aussi – en lien avec le TGIR Huma-Num – à mettre à disposition et favoriser la réutilisation des corpus et matériaux de recherche ayant nourri la contribution scientifique. Il s’agit subséquemment de renouveler les modes d’administration de la preuve, de favoriser concrètement la réutilisation de matériaux, et d’élargir les possibilités de discussion sur les démonstrations avancées par les auteurs, ce afin de mieux étayer les conditions de possibilité de l’innovation scientifique.
Peu de dispositifs, à l’exception des réseaux sociaux de chercheur, encouragent le dialogue, l’échange et le débat sur les ressources scientifiques ou entre chercheurs. Les outils collaboratifs et plus particulièrement les dispositifs d’écrilecture émanant du Web Social sont souvent absents des interfaces : commentarisation des articles, édition de versions enrichies, partage de ressources, préprint collaboratif, etc.
Ils seront mis en œuvre au sein de NumeRev dans une optique de science ouverte (Open Science). Les espaces utilisateurs seront conçus comme une vitrine scientifique des chercheurs et une bibliothèque numérique personnelle, leur permettant de gérer à la fois leur identité numérique (Merzeau, 2009), leur production scientifique, leurs traces au sein du système ou celles qu’ils construisent sur autrui.
Enfin, quelle que soit la forme du dispositif retenu, s’ils rassemblent en leur sein différentes disciplines, ils n’encouragent pas l’interdisciplinarité. Le portail NumeRev, outre son rôle de « site médiateur » (Davallon & Jeanneret, 2004) à l’attention des différentes publications et ressources, va moissonner l’ensemble des contenus et en particulier l’ensemble des données relatives aux concepts et aux cartographies des connaissances et ce faisant proposer aux utilisateurs des contenus informationnels interdisciplinaires.
Notre problématique de travail consiste donc à co-concevoir et réaliser un incubateur scientifique et un portail interdisciplinaire de ressources numériques vecteur de sciences ouvertes qui soit à la fois facilitant et innovant pour les parties prenantes, complémentaire ET interopérable avec les dispositifs clés de la sphère informationnelle numérique française.
L’idée sous-jacente à NumeRev est de créer un laboratoire expérimental innovant sur les pratiques et comportements informationnels (Maurel & Chebbi, 2013) et de publications des chercheurs ainsi que des nouveaux modèles économiques émergents. Pour conduire cette recherche-action, nous nous basons sur les préceptes du « constructivisme numérique » (Verlaet, 2015) et mobiliserons de fait les méthodologies issues des approches compréhensives pour co-construire le projet de connaissance NumeRev.
Références :
Davallon, J.; Jeanneret, Y., (2004). « La fausse évidence du lien hypertexte », Communication et langages, vol. 140, náµ’ 1, p.43-54.
Kling, R.; Rosenbaum, H.; Sawyer, S. (2005). Understanding and communicating social informatics : a framework for studying and teaching the human contexts of information and communication technologies. Medford, New Jersey: Information Today.
Maurel, D.; Chebbi, A. (2013). «Towards negotiated governance of digital records: individual and collective information practices in organizations », Comma, vol. 2013, no 1, p. 15-28.
Merzeau, L. (2009). Présence numérique: les médiations de l'identité. Les Enjeux de l'information et de la communication, 2009(1), 79-91.
Salaün, J.-M., (2007). « La redocumentarisation, un défi pour les sciences de l’information », Etudes de communication, n°30.
Verlaet, L.; Dillaerts, H. (2016). « L’enjeu du web de données pour l’édition scientifique ». Revue I2D Information, Données & Documents, n°2. p. 49.
Verlaet, L. (2015). « La deuxième révolution des systèmes d’information : vers le constructivisme numérique ». Hermès La Revue, vol.2, n°71, p. 249-254.
Verlaet, L., Modèle communicationnel de balisage générique pour la sémantisation des informations : le cas d’une revue scientifique, thèse de doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication, CERIC, Université Paul-Valéry, Montpellier, 2008.